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Personne, de Gwenaëlle Aubry, prix Femina 2009

Récit d’une vie plus une, Personne est sans aucun doute l’un des ouvrages les plus humanistes et les plus touchants de 2009.

 

S’il y a une chose que l’on retiendra du prix Femina 2009, c’est qu’il est l’un des rares ouvrages autobiographiques capables de traiter de la folie avec talent et douceur. Avec cet ouvrage, Aubry nous raconte comment la psychose de son père a été une dimension constitutive de sa vie, et le tout premier facteur de son éducation au monde.

C’est la découverte des journaux que tenait son père au quotidien qui fait la trame du roman. Elle en cite des passages (en italique dans le texte) tout au long de livre, entourant les mots de son père par les siens pour chaque parcelle de cette vie de famille, ballottée en permanence entre psychose et réel. Et l’amour de l’auteur pour cet homme, ce fou, cet érudit passionné de philosophie et sujet aux hallucinations les plus violentes, cet amour d’une fille pour son père sort grandi d’une plume sublime, digne des plus grands maîtres. C’est de la poésie, de la grande et belle littérature, un délice à chaque ligne.

En 2009, le Prix Femina a couronné un ouvrage qui se savoure avec lenteur. Un livre en forme d’abécédaire, qui paraît pouvoir (enfin ?) faire le deuil d’une enfance tumultueuse certes, mais d’une enfance tout de même. Comme si Gwenaëlle Aubry avait eu besoin de clore ce chapitre, de refermer la parenthèse de la vie de son père ; c’est un roman sur le deuil improbable d’un père qui avait disparu longtemps déjà avant sa mort, d’un homme qui n’a jamais su être dans le monde avec sa (ses) fille(s). C’est un hommage discret enfin, mais néanmoins puissant à un père qui a profondément marqué sa fille, dans le meilleur aussi de ce qu’elle est devenue.

Toute la nuance de l’érudite (spécialiste de Saint Simon) inspire au roman une douceur qui n’est ni légèreté ni fausse distance. Nulle trace de misérabilisme, pas l’ombre d’une plainte, même si la souffrance et l’angoisse sont là, bien sûr. Au centre c’est l’absence de cet homme jamais tout à fait là, déjà hors du monde de son vivant, et désormais disparu.

Mais dans cette transparence qui nous est si bien racontée, il y a la voix de l’enfant, il y a tout un autre monde « morcelé et muet » certes, mais où les autres existent malgré tout, et dont les journaux font témoignages. Il y a ses délires que l’adulte regarde avec une telle délicatesse, un respect qui manque à tellement d’autres ouvrages sur la folie, et à tellement d’autres autobiographies aussi.

« Personne » caractérise ce père qui n’est pas là, pas dans le « même réel » ; le grand Absent qui ne connaît pas le monde faute de s’y être jamais rendu. Mais Personne, c’est aussi un individu, quelqu’un d’anonyme, un fou, un halluciné, un psychotique ; et puis un père aussi. Aubry met tout son talent à l’œuvre pour nous raconter avec ce petit livre (a peine une centaine de pages) l’histoire sous le masque (persona) d’un homme absent, hors du monde. Et ce avec une nuance, un retour sur soi, une finesse qui force l’admiration.

Car si Aubry a sans doute eu « besoin » de ce livre, ce n’est pas par excès névrotique, ce n’est pas pour se (dé)livrer, non, à aucun moment. On ressent moins dans le livre, et c’est là son très très grand talent, son besoin personnel de parler de son père, que l’on est emporté, emmené chez cet homme, dans ses textes et sa vision du monde, à la découverte de l’individu et de l’histoire qu’ils ont partagé ensemble, de l’autre côté de son délire, dans les coulisses de sa mélancolie.

Et Aubry de nous accompagner dans ce voyage en faisant sans cesse l’Aller/Retour entre les deux « Je », celui du père, celui de la fille ; celui du fou, celui de l’enfant, en quête de lien.

C’est là enfin l’un des plus beaux romans sur la psychose qui soit paru en librairie. La poète nous parle de respect, d’individu, et de la recherche éperdue du lien père-fille, quête impossible d’être au monde ensemble, de ce qui fait la vie, Elle nous dit cette recherche du disparu, comment elle cherche à rencontrer son père dans le monde réel plutôt qu’à le rejoindre dans le sien, « ce monde morcelé et muet » où il évolue, et qui finalement « était peut être le réel même ».

Gwenaëlle Aubry, Personne, paru au Mercure de France, 2009.

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