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Phillipe Genty, un voyage élégant, bien qu’un brin décevant

On le connaît comme le dresseur de marionnettes en chiffons, on le sait capable de lever une mer avec trois bâches et un ventilateur, mais ce qu’on ne savait que peu à propos de Genty c’est sa tendance enfoncer les portes politiques ouvertes ; et pour cause, il est meilleur en manipulateur de bonshommes de bois.

Le dernier spectacle de sa troupe, Voyageurs Immobiles est une petite merveille qui s’oubliera sans doute un peu vite. La performance des comédiens est magistrale, ils sont synchronisés à l’extrême, nulle trace d’une fausse note, ils nous font rire comme des enfants, nous touchent juste et font frissonner nos échines. A coups de boîtes en carton, de petits bonshommes apparus par magie sur les vagues bleutées d’une mer déchainées, drôles de naufragés silencieux, ils nous prennent par la main pour nous emmener tour à tour sur les sols arides, sur les flots infinis, dans les nuées orageuses d’un paradis de plastique.

La troupe, c’est sûr, ne manque ni d’inventivité ni de talent. Et on imagine aisément qu’elle fait preuve d’une autonomie et d’un professionnalisme à toute épreuve. La scénographie réalisée par Philippe Genty leur offre un appui incontestable pour fabriquer du rêve sur le plateau. Avec trois bouts de ficelle, un carton de déménagement et quelques feuilles de papier Kraft, Genty et sa troupe jouent avec nos inconscients et nous portent vers des univers oniriques oubliés. Sur le plateau, ça remue en cadence, on vend du rêve démocratique et des mythes modernes, on se roule en boule pour dériver avec le vent, on joue à cache cache sous les collines de papier, bref, on y danse on y danse ! Un théâtre du rêve auquel le metteur en scène a voué sa vie entière ; grand spécialiste de cet art délicat des marionnettes, il a décidé cette fois de faire de ses comédiens ses figurines de carton-pâte.

Et peut être qu’il aurait dû s’en tenir là. Parce qu’au milieu du fatras poético-onirique de son univers fabuleux, la dénonciation politique qui sommeillait se réveille tout à fait, et gâche un brin le paysage. La métaphore prend des allures de retranscription du réel un peu trop proche de nous, un peu trop rapidement balayée : alors on assiste à l’écroulement des building de la bourse, alors on propulse des dizaines de poupées de bébé par une machine fantaisiste, alors on fait la guerre en dansant… Certes, mais c’est un peu vite dit, cette modernité un peu rapidement peinte au cœur en creux d’un désert est très caricaturale et n’apporte rien au spectacle ; pire, elle lui enlève partie de sa dimension poétique, et tandis que nous décollions de nos sièges pris par ses morceaux de magie géniale, nous voilà assis de nouveau, à constater sceptique une vision trop connue, trop entendue et surtout trop facile. Oui, le capitaliste est mauvais pour l’homme. Oui, le recyclage est important, oui, le réchauffement climatique. Les critiques de Genty, trop consensuelles et trop lissées, deviennent des regrets pour les voyageurs immobiles que nous sommes, et qui de fait n’iront pas très loin.

Heureusement, il y a encore du sous texte chez Genty ; le traitement plus assuré des symboles religieux se fait délicat, et la (seule) marionnette finale nous refait prendre le large ; Non, Genty n’a rien perdu de son talent pour donner vie à ces figurines inquiétantes, et ses comédiens brillants sont toujours au sommet de leur art ; celui de nous faire plonger tout éveillés dans les songes les plus reculés, la poésie la plus vivante. Une course immobile dans laquelle on voit défiler le paysage de nos symboles, de nos inconscients collectifs traités avec une délicatesse délicieuse dans une ambiance fantasmatique proche d’un pays des merveilles.

Quel dommage donc que Genty n’est pas pris le parti de symboliser plutôt que de nous révéler textuellement ses reproches adressés à l’époque moderne, par des trucs et astuces  de mise en scène et de scénographie par trop visibles. Il nous offre donc un voyage immobile basé sur un parti pris qu’il tient jusqu’au bout, mais dont l’évidence de la transcription nous fait reculer plus qu’il n’avance à quoique ce soit.

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